Dark Light

Plongée dans le plus noir, le plus rural, le plus sale, le plus mélancolique, le plus blues, le plus boueux des albums du génial Tom Waits.

« Mule Variations » est le douzième album du crooner déglingué Tom Waits. L’artiste a évolué de chanteur de nightclub bavard dans les années 70 à musicien de folk avant-gardiste dans les années 80 en passant par acteur pour Coppola et Jarmusch. Dans les années 90, il s’attaque au théâtre et aux comédies musicales (toujours bien barrées) avant de sortir en 99, « Mule Variations », Grammy du meilleur album de folk contemporaine. Il y fait une sorte de synthèse de ses facettes, avec dans l’ombre, sa muse et productrice Kathleen Brennan.

« Mule Variations » est de ces albums dont la pochette colle admirablement bien au contenu, avec sa pochette sombre, sale, un brin floue, le regard inquétant de Tom Waits.

L’album a été enregistré dans la campagne californienne, dans une vieille baraque en bois qui grince, on entends le coq au loin sur « Chocolate Jesus », le piano n’est pas toujours accordé, la guitare électrique est grasse à souhait.

Vous l’avez compris, on est avant tout dans une ambiance plus que dans une succession de tubes ultraproduits en studio.

« Big In Japan » n’est pas l’entrée en matière la plus évidente pour cet album: Waits hurle comme un fou, sur un riff tellement trituré qui s’apparente plus à du bruit. A la basse on retrouve le savant fou de Primus, Les Claypool, mais aussi ses autres comparses de Primus, Larry Lalonde à la guitare et Bryan Mantia, ce qui explique cette ambiance un peu destroy.

« Lowside of the Road » pose une ambiance, celle des chemins poussiéreux au crépuscule. Le texte énigmatique n’évoque rien de particulièrement rassurant, sur un rythme lentement inéluctable. Waits racontait que ça a été inspiré par une anecdote du bluesman Lead Belly, agressé par des blancs en Louisianne en 1930, il aurait sorti son canif dont il se servait pour jouer de la guitare slide pour se défendre. Or, à cette époque, se défendre, pour un noir, signifiait de la prison…

« Hold On » a été inspiré à Tom Waits lors d’un voyage en bus avec sa fille. Ils ont vu au coin d’une rue un danseur de rue, sans musique. Sa fille lui a dit « Ce doit être difficile de danser comme ça quand il fait si froid et qu’il n’ya pas de musique. » et comme souvent avec Tom Waits, il est parti de cette phrase pour écrire « Hold On », qui est le titre le plus facile d’accès, avec un son un peu moins tordu que sur les autres titres. Il figure volontiers auprès d’un « Don’t Give Up » ou d’un « Everybody Hurts » sur une compilation anti-dépression.

« Get Behind The Mule » restourne dans l’ambiance rurale, la basse du regretté Larry Taylor et l’harmonica de Charlie Musselwhite apportent une autre touche bluesy. Reminescence du mythologique pionnier du blues Robert Johnson, qui préférait jouer de la guitare plutôt que de bosser aux champs.

« House Where Nobody Lives » renoue avec le Tom Waits crooner déglingué. Une jolie balade avec un texte superbe, sur la guitare du fidèle collaborateur Marc Ribot.

« Cold Water » est un blues fait primitif, minimaliste, sur une guitare sur-saturée, qui nous raconte la vie d’un vagabond alcoolique, qui commence sa journée en s’arpergeant d’eau glacée sur le visage. Et ça lui convient très bien.

« Pony », un autre titre mélancolique, magnifique, un brin autobiographique. Tom interprète comme nul autre le désespoir, non sans un certain humour noir. La encore le son de l’harmonica est parfait, on prends notre temps, on s’imagine assis sur les marches en bois d’un porche.

« What’s he building » est un titre particulier, inquiétant, flippant même, ou Tom parle, sur fond de bruits étranges, il observe son voisin, qui n’a pas l’air normal… mais au fur et à mesure de ses observations, on se demande qui du voisin ou de l’observateur est le plus dangereux. La spatialisation du son est prenante, à écouter au casque ou sur de très bonnes enceintes.

« Black Market Baby » reste dans cette ambiance de son discordants, inquiétants. C’est une chanson d’amour, mais d’amour pour une femme étrange à la réputation douteuse.
L’idée originale est venue de Kathleen Brennan, qui a écrit « She’s a diamond who wants to stay coal ». Tom dira « A partir de ce moment là, la chanson était faite ».

« Eyeball Kid », assez curieusement, a été inspirée à Tom Waits par Nicolas Cage, qui l’a initié aux comics. La chanson parle d’un enfant dont la tête est un énorme oeil bleu. Rien d’effrayant la-dedans, c’est au final une métaphore sur le monde assez étrange du show-business.
Là encore, un énorme travail sur le son, les percussions, les ambiances, la voix.

« Picture in a Frame » est encore un texte magistral de Tom Waits, qui a le don de nous parler, de nous faire visualiser des scènes du réel par des petits détails.
Uniquement accompagné de son piano et d’un solo de saxophone, l’ambiance délicate et minimaliste contraste agréablement avec les titres précédents.

« Chocolate Jesus » est l’un des titres les plus connus, et les plus repris de Tom Waits. Aucun n’égale l’original. Enregistré en extérieur, c’est pour Tom une chanson tout à fait catholique, juste catholique un peu feignant qui a pas encie de se lever le dimanche matin pour aller à la messe et qui se contente d’une Jésus en chocolat.
Pour l’anecdote, Tom Waits déclare ne pas avoir payé le coq qu’on entends au début. Mais il l’a laissé vivre.

– « Georgia Lee » a bien failli être écartée de l’album, mais la fille de Tom Waits a plaidé en sa faveur, et elle a bien fait. « Georgia Lee » fait partie de ces titres qui sonnent encore mieux une fois qu’on en connait l’histoire. Attention c’est pas super fun.
En 1993, une certaine Poly Klaas a été retrouvée morte. Les médias nationaux en ont parlé, un film lui a été dédié, une loi a été votée en Californie pour lutter contre les criminels récidivistes.
4 ans plus tard, dans le même comté, Georgia Lee Moses, une adolescente noire de 12 ans a été enlevée et son corps n’a été retrouvé que 9 jours plus tard. Ce qui n’est déjà pas très drôle, mais ce n’est pas tout: plus et surtout moins élevée par sa mère dans une situation d’extrème pauvreté, elle avait abandonné l’école, et sa disparition est passée totalement inaperçue.
Tom Waits, qui a assisté à l’enterrement du fond de l’église, a voulu réparer cette injustice par cette chanson.

« Filipino Box Sprign Hog », la, Tom pète les plombs. Gros délire, ambiance surrealiste, bienvenue dans les rêves de Tom Waits. On y retrouve même sa femme (qui dira à se propos « Tu me mets enfin dans une chanson et je suis assise en soutif à un bar, merci »).
Tout ceci sur une batterie chancelante, des hurlements impromptus, et toujours la guitare de Marc Ribot.

« Take It With Me », où comment jouer avec les contrastes. L’enchaînement des titres sur « Mule Variations » est aux petits oignons, osée, mais réussie. En effet, après la folie de « Filipino », « Take it With Me » est une ballade piano-voix à déchirer le coeur. Ma favorite de l’album, peut être même de tout Tom Waits.

« Come on Up To The House » clôt « Mule Variations » de bien belle manière, avec une sorte de Gospel à la Tom Waits.

 

En 2017, comme toute la discographie de Tom Waits, « Mule Variations » a bénéficié d’une ré-édition en vinyle, remastérisée pour l’occasion, et il sonne terriblement bien. Je n’ai pas eu l’occasion de comparer avec l’édition vinyle précédente, je ne l’avais qu’en CD.

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