Le Boss est à la maison ! Bruce Springsteen, 75 ans, est ce soir au Stade Pierre Mauroy devant 60000 fans prêts pour la grand messe du E-Street Band.

La première partie.n’était vraiment pas terrible : orchestrée par Ilevia, le réseau de transport en commun qui ne sait pas faire tourner un métro en semaine, et encore moins lorsqu’il y a un afflux de 60000 sur Villeneuve d’Ascq, j’ai mis plus de 2 h pour faire Tourcoing-Villeneuve d’Ascq et j’ai pu entrer dans le stade au moment ou Bruce disait « Bonsoir Leel* ! ». Ca a été au moins l’occasion de moments mémorables dans le métro avec une chorale qui s’est improvisée dans un métro à l’arrêt, « Bloqués dans le métroOO » sur l’air de « Born In The USA », interrompue par des rugissements d’encouragement quand la rame redémarre enfin…. pour mieux s’arrêter, nous rediriger vers des bus relais pleins…

Mais passons sur Ilévia et leur capacité à gâcher chaque journée, pour se concentrer sur l’évènement de l’année sur Lille pour les amateurs de rock. Bruce Springsteen est de passage en Europe, à la base pour assurer des concerts qu’il avait du annuler au dernier moment pour cause d’urgence médicale. Et là ou nous avons de la chance à Leel , c’est qu’il en profite pour s’arrêter non pas un mais deux soirs au Stade Pierre Mauroy.

Le premier des deux concerts avait lieu ce soir, je n’avais pas vu le Boss depuis 13 ans, et, aucun doute, même à 75 ans, c’est toujours le Boss. Même si on sent que le climat est très différent de la tournée de 2012.  Le patriote Bruce était moins inquiet sous la présidence de son pote Barack que sous celle du clown corrompu en 2025. Au point de définir la tournée baptisée « Land of Hope and Dreams ».
Evacuons tout de suite la polémique du « gauchiste milliardaire » : oui Springsteen est dans le top 10 des artistes les plus riches de la planète, mais il a le mérite d’avoir des convictions et de s’y tenir en des temps ou l’autoritarisme et l’extrême droitisation de la société d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Et les invectives vont bon train entre Bruce et Donald. Le Boss a ouvert les hostilités au début  de sa tournée à Manchester en qualifiant l’administration Trump de « corrompue, incompétente et perfide », poussant la charge jusqu’à sortir un EP Live de Land of Hope and Dreams, speech inclus, sur toute les plate-formes quelques jours après. Le clown orange a répondu avec son style habituel traitant Bruce de « connard sans talent aussi bête que ses pieds » et a menacé d’empêcher son retour aux USA après la fin de la tournée. Et en envoyant une balle perdue à Taylor Swift, qui n’a rien demandé, mais qu’il « déteste ».
Mais le Boss ne fléchit pas et réitère sa diatribe à chaque concert, et même traduit et sous titré pour l’occasion ce soir. Ca va plaire à Donald.

Et la setlist est un best of du Bruce engagé. On commence par « No Surrender », histoire de donner le ton, avant le speech d’introduction de « Land of Hope and Dreams« , puis « Death to my Hometown« … le message est clair et limpide.
Le son par contre…. pas tant que ça et ma position dans le stade ne doit pas aider, en dépit du prix exorbitant. Mais c’était déjà pas génial avec Peter Gabriel en 2023, seul Roger Waters la même année s’en était bien tiré.
Le E-Street Band est toujours à la hauteur de sa réputation interplanétaire. Le noyau historique avec Steve « Little Steven » Van Zandt, Nils Lofgren, Gary Tallent, Mighty Max Weinberg, Roy « Professor » Bittan et Patti Scialfa vieillit, comme nous tous, mais assure toujours autant. Seuls Clarence Clemons et Danny Federici ne sont plus de la partie, mais ils ont une bonne excuse.
De nombreux musiciens additionnels étoffent le groupe, certains sont là depuis longtemps à l’image de Jake Clemons au saxophone, Soozie Tyrell au violon ou Charles Giordano à l’accordéon, Curtis King aux percussions et aux chœurs. Ajoutons à cette joyeuse troupe les choristes Michelle Moore, Lisa Lowell, Ada Dyer et Anthony Almonte, et une sections de cuivres indispensable avec Ed Manion, Curt Ramm, Barry Danielian et Ozzie Melendez.
Sans oublier bien sur Bruce, qui a abandonné depuis bien longtemps le débardeur et le bandana des années 80, maintenant c’est pantalon noir, chemise blanche, veston de costume et cravate noirs. Et les cheveux sont bien blancs maintenant. Il a toujours autant de charisme et il galvanise sans peine un stade entier, en dépit d’un engagement politique très marqué que certains lui reprochent.
« Lonesome Day » promet des jours meilleurs après une tragédie, « Seeds » est dans la même veine, cet hymne rock rageur emmené par Litttle Steven sur la pauvreté qui ravage les USA. Il y a une certaine cohérence dans cette setlist n’est-ce pas ?

La scène est très surélevée, avec des rampes d’accès permettant à Bruce de rejoindre les crash des premiers rangs pour de réguliers bains de foule, au plus grand plaisir des fans qui pointent depuis lundi devant le stade pour ces places de choix.
Après un duel de solos entre Bruce et Steve, on reste dans la chanson revendicative avec le très beau « Rainmaker », titre dont je suis passé à côté de sa sortie en 2020 et qui traite de rien de moins que de la post-vérité, la manipulation des masses par la classe dirigeante. Un fléau qui est encore plus d’actualité aujourd’hui, y compris en France, qu’en 2020 lors du premier mandat Trump. Et en plus la chanson est magnifique en live.

Rainmaker says white’s black and black’s whiteSays night’s day and day’s nightSays close your eyes and go to sleep now

« Promised Land », un titre plus ancien, traite de la désillusion sociale, thème là aussi crucial aux USA et là encore cruellement d’actualité. Mais c’est surtout la résilience qui en ressort, un petite note d’espoir. Après, tout le monde n’est pas un rockeur issu d’une famille très modeste du New Jersey.
« Hungry Heart » est un peu plus léger, encore que ce soit relatif, la forme et le fond sont souvent en opposition chez le boss. Mais c’est l’un de ses plus gros tubes et ça fait consensus dans le stade.

« The River » m’a mis les larmes aux yeux, l’acoustique foireuse du stade a rendu l’introduction à l’harmonica et à la 12 cordes particulièrement belle, paradoxalement, l’écho était magnifique, et quand Bruce tend le micro à 60 000 personnes qui chantent « They bring you up to do like your daddy done, me and Mary we met in high school when she was just seventeen » c’est le nectar de ce qu’on vivre dans une salle de concert.
« Youngstown » est un autre titre que j’adore, et là encore, au vu de la setlist, impossible qu’il n’y figure pas. La trahison du rêve américain est aujourd’hui ce qui préoccupe le plus Bruce, comme il l’expliquera bien mieux que moi après.
Après un « Murder Incorporated » bien nerveux, on enchaîne sur le superbe « Long Walk Home » qui a pris une autre dimension en live ce soir. A sa sortie en 2007, Springsteen y exprimait la désillusion de ne plus reconnaître son pays après deux mandats de George Bush Jr. Aujourd’hui, avec une administration Trump fascisante, désillusion et désespoir se rejoignent. Sur ce titre , une des choristes est mise en avant, c’est magnifique.

Ce qui est intéressant dans un concert comme celui-là, outre ce qu’il se passe sur scène, c’est aussi ce qui se passe dans la salle.
Là il y a un homme qui danse dans la contre allée, où les gens qui avaient une place assise l’abandonnent pour se rapprocher de la scène.
Là un autre fait face à la tribune et joue au chauffeur de salle.
Là une fille sur les épaules de son père martèle le crâne de ce dernier aux rythme des coups de baguette de Max Weinberg.
A l’occasion d’une pause pipi, des fans irlandais de différentes villes se retrouvent avec un enthousiasme pas feint.
Je pense souvent que le dernier membre du E-Street Band, c’est la communauté de fans qui s’est formée dans le monde entier, et qui a ses valeurs, et c’est aussi peut être la plus grande réussite du Boss.

Les lumières s’éteignent à part celles sur Bruce, seul à la guitare acoustique pour un moment poignant avec « House of a thousand guitars », un hymne poétique où, comme il le dit en introduction, tout ce qui reste entre la démocratie et l’autoritarisme, c’est « l’union d’un peuple autour d’un socle commun de valeurs ». Pas si éloigné de la réalité des choses le gauchiste milliardaire.

Pour clore cette longue partie engagée (trop longue disent les vieux fans droitards), en introduction de « My city of ruins », Bruce a tout résumé avec une plume acérée.

« Nous nous sommes efforcés de vivre selon nos idéaux civiques et nos rêves, mais des évènements se produisent en ce moment qui altèrent la nature même des démocraties de nos pays et qui sont trop importants pour être ignorés, alors laissez moi vous remercier de m’accueillir.
Mais aux états unis, mon pays, ils persécutent les gens qui font usage de leur liberté d’expression et expriment leur désaccord.
Ca se passe MAINTENANT.
En Amérique, les hommes les plus riches prennent plaisir à abandonner les enfants les plus pauvres à la maladie et à la mort.
Ca se passe MAINTENANT.
Dans mon pays, ils prennent un plaisir sadique aux peines qu’ils infligent aux travailleurs américains loyaux.
Ils remettent en cause les droits civiques historiques qui ont mené à une société plus juste.
Ils abandonnent nos alliés et se rapprochent des dictatures qui oppriment ceux qui se battent pour la liberté.
Ils coupent les fonds des universités américaines qui ne se soumettent pas à leur exigences idéologiques.
Ils expulsent les résidents hors des rues américaines sans procédures légales régulières et les transportent vers des centres de détention et des prisons à l’étranger.
Tout cela… se passe… MAINTENANT.
Une majorité de nos représentants élus ont échoué à protéger le peuple américain des abus d’un président illégitime et d’un gouvernement dévoyé.
Ils ne se soucient pas de ce que c’est que d’être profondément Américain.
L’Amérique que je vous chante depuis 50 ans est authentique, et, malgré ses nombreuses erreurs, un formidable pays avec un grand peuple, alors nous survivrons à ce moment.
J’ai de l’espoir parce que je crois en la vérité telle que dite par le grand écrivain américain  James Baldwin. Il disait que dans ce monde, il n’y a pas assez d’humanité qu’on le voudrait, mais il y en a suffisamment. »

J’ai préféré mettre le speech in extenso. Le message est clair. Les lavés du cerveau qui grommellent « on s’en fout de Trump joues Born in the USA » n’ont sans doute pas compris l’œuvre de Springsteen. Il est tout simplement là en train de défendre sa vision des USA qu’il nous dépeint depuis 50 ans à travers son art, et qu’il voit ruinée par l’Amérique de Trump. Peut-être endosse-t-il une responsabilité d’ambassadeur qu’il ne devrait pas avoir, peut-être est-ce que l’ego d’artiste contrarié, c’est un débat, mais on ne peut que s’incliner devant la force de ses convictions. Il n’a rien à gagner de prendre position de manière aussi virulente.

« My City Of Ruins » qui suit cette diatribe est puissant, comme toujours sur ce titre écrit après le 11 septembre, mais 60 000 personnes qui scandent « Rise Up! » après une prise de parole humaniste, ça donne un peu plus d’espoir pour 2027 que ce que montrent les médias.
On enchaîne avec une chanson plus légère, et que j’aime pas du tout, c’est comme ça, mais « Because The Night »… nan vraiment, même si Nils nous gratifie d’un superbe solo. Et ça booste le public qui est parti pour la dernière ligne droite du concert avec les valeurs sures en live comme « Wrecking Ball » et le toujours magnifique « The Rising », ou Nils délivre un solo agressif au bottleneck absolument parfait. On n’a pas fini de chanter puisqu’on continue avec « Badlands » dont les « Oh oh oh » résonneront longtemps après le concert jusque dans les bus navette.

Le set se termine avec un autre classique – mais il y a combien de classiques chez Bruce ? – « Thunder Road » avec un final splendide des cuivres en front de scène, avant d’une très très courte pause précédant les rappels.

Et pour cela, toutes les lumières du stade sont allumées. Plus de lightshow, tout à fond, et la batterie explosive de Max Weinberg commence le rythme reconnaissable entre mille de « Born In The USA » que j’aurais bien aimé remaniée comme Bruce l’a déjà fait par le passé, surtout dans une setlist pareille, mais soit. Et ça enchaîne. « Born To Run », le meilleur des rappels, toujours énorme 50 ans après sa sortie, sur l’écran défilent les portraits de Danny et Clarence, qu’on oublie pas.
« Bobby Jean » précède ma préférée des tubes radio de Bruce avec « Dancing In The Dark », tandis que « Tenth Avenue Freeze Out » annonce la fin des festivités. Ils clôtureront cette soirée avec une reprise de Bob Dylan « Chimes Of Freedom ».

Un concert du Boss, c’est forcément énorme. On peut faire des reproches sur le son, sur la voix de Bruce qui n’en plus la même qu’il y a ne serait-ce que 13 ans, certes, mais à 75 ans ce serait mesquin de reprocher ça à un artiste qui mouille toujours autant la chemise pendant 2h45. Il n’a jamais caché son engagement politique, et cette tournée est fortement marquée par la deuxième présidence Trump. J’y vois un Springsteen sincèrement peiné de la situation politique dans son pays, et il y a de quoi, mais aussi que l’image de son pays depuis l’Europe soit si écornée.
A l’heure où en France, le monde tristement fade de la culture est plus que frileux à l’idée d’exprimer la moindre critique envers le gouvernement, j’aime voir qu’il existe encore des artistes sincèrement engagés de la veine de Springsteen.

PS : l’after d’Ilevia est du même tonneau que leur première partie… 2h10 d’attente pour un bus relai… lamentable jusqu’au bout.

Pas de photos pour ce concert hélas, j’ai tenté mais… priorité aux gros médias pour samedi et pour le 2ème concert… la rédaction à la main, ça ne paie pas, je devrais faire du chatGPT comme tout le monde !

Bruce Springsteen à Leel (ou Lille), la setlist :

No Surrender
Land of Hope and Dreams
Death to My Hometown
Lonesome Day
Seeds
Rainmaker
The Promised Land
Hungry Heart
The River
Youngstown
Murder Incorporated
Long Walk Home
House of a Thousand Guitars
My City of Ruins
Because the Night
Wrecking Ball
The Rising
Badlands
Thunder Road
Rappels:
Born in the U.S.A.
Born to Run
Bobby Jean
Dancing in the Dark
Tenth Avenue Freeze-Out
Chimes of Freedom

*Sur les photos backstage du concert par un certain Antoine de C. on peut voir le speech de Bruce, avec « Lille » orthographié « LEEL », sans doute pour la prononciation depuis l’anglais. Je propose de renommer officiellement « Lille » par « Leel ». C’est génial.

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